Mourir dans les camps, le dernier tabou en littérature de jeunesse ?

Eléonore HAMAIDE- JAGER

Textes et cultures, Université d’Artois 

Résumé

Depuis les années 1980, les livres sur la Shoah sont de plus en plus nombreux, avec un renouvellement des approches, pourtant les personnages continuent à être peu nombreux à mourir, pouvant donner une image fautive de la réalité du génocide. Ce paradoxe s’explique par les personnages d’enfants cachés, nombreux dans le corpus français et épargnés, au moins directement, par la mort. Il est aussi justifié par des choix narratifs, avec des blancs temporels qui mettent à distance la disparition ou la minimisent. Enfin, quand la confrontation avec la mort est incontournable, la fin de certains ouvrages garde des formes d’espoir en vertu du public auquel ils s’adressent, imaginant des retrouvailles post-mortem. Certains ouvrages néanmoins placent l’enfant au cœur du système concentrationnaire. Le lecteur accompagne alors le personnage jusque dans la chambre à gaz et se confronte à une réalité violente, même lorsque les auteurs tendent à déréaliser la mort ou s’arrêtent juste avant l’instant ultime. Les auteurs et illustrateurs d'albums s’avèrent plus audacieux tant dans la représentation physique de la mort, dans les choix parfois ambigus de narrateurs comme dans le traitement de la trace et du souvenir. La persécution, la mise à mort programmée, la déportation sont bien plus représentées que la mort elle-même dans les livres pour enfants centrés sur la Shoah.

Mots-clés : littérature de jeunesse, Shoah, génocide, mort, album de jeunesse

Abstract

Since the 1980s, books about the Holocaust have become more and more numerous, offering a range of new approaches, yet characters who die continue to be few in number, which may give a false image of the genocide’s reality. This paradox can be explained by the characters of Hidden Children, who are numerous in the French corpus and who are spared from death, at least directly. It is also justified by narrative choices, with temporal gaps that minimise death. Finally, when confrontation with death is inescapable, some books retain forms of hope by virtue of the audience they address, imagining a post-mortem reunion. Some books, however, place the child at the heart of the concentration camp system. The reader accompanies the main characters into the gas chamber and is confronted with a violent reality, even when the writers tend to derealise death or stop just before it occurs. The picture books’ authors and illustrators are more daring in their physical representations of death, in the ambiguous narrators’ choices and in the treatment of vestige and memory. Persecution, programmed killing, and deportation are much more represented than death itself in children's Holocaust book

Keywords : youth literature, Holocaust, genocide, death, picture book

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© Anton Fortes et Joanna Concejo, Fumée, OQO éditions, 2009.